Lors de ses vœux, le président de la République a une fois de plus fait preuve d’un rare mépris. Imputant le « sentiment d’injustice »
à la seule crise économique,
il appelle
à la poursuite
des réformes.
«Debout pour mieux fouler au pied la réalité », selon l’expression de Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, Nicolas Sarkozy a « embelli son bilan », vendredi soir, devant des millions de téléspectateurs. Pour la première fois, un président de la République a transmis ses vœux debout, s’alignant sur la nouvelle mode des journaux télévisés, mais la modernité s’arrête là : « Poursuite et durcissement de sa politique régressive dans tous les domaines », déplore le PCF. Le porte-parole du Parti socialiste, Benoît Hamon, décèle un « manque de respect » du chef de l’État envers les Français. « Pour leurs aspirations », mais aussi « pour leur intelligence, quand le gouvernement s’est entêté à défendre une politique où se sont mélangés intérêt privé et intérêt général ».
Mieux vendre son projet
« Je sais que 2012 sera un rendez-vous électoral de grande importance. Mais nous sommes en 2011, nous ne pouvons nous payer le luxe d’une année d’immobilisme préélectoral », a déclaré le président pour justifier la poursuite de réformes qui « commencent à porter leurs fruits » : retraites, universités, justice, etc., et bientôt installation de jurés populaires en correctionnelle, fin du bouclier fiscal (doublée de l’aménagement de l’ISF) et réforme de la dépendance. Le chef de l’État a promis de faire de 2011 une « année utile » et « porteuse d’espérance » malgré les difficultés économiques et sociales. Des « injustices » ressenties par des salariés « qui n’étaient en rien responsables de la crise » et qu’il affirme vouloir « protéger », aidé en cela par le « courage » des Français, « la force de notre économie » et les « avantages de notre modèle social » (sic).
Mais si Nicolas Sarkozy s’est attaché à donner un aspect présentable à son bilan, c’est pour mieux vendre son projet, maniant mensonges et contre-vérités. Nous en avons identifié sept, dont l’analyse relève incohérences et dangers.
Décryptage
1. « Nos chercheurs se sont vus dotés de moyens financiers considérables grâce au grand emprunt. »
Les chercheurs seraient choyés par le gouvernement, selon Nicolas Sarkozy ? L’avis des intéressés est pourtant sensiblement différent. Dans un appel « à la résistance » publié le 22 novembre par l’intersyndicale de l’enseignement supérieur et de la recherche (FSU, CGT, Unsa, CFDT, Solidaires, Unef et les collectifs Sauvons l’université et Sauvons la recherche), ils dénoncent, avec le grand emprunt, « une nouvelle étape de destruction du système d’enseignement supérieur ». Au lieu d’augmenter le financement de l’ensemble des laboratoires, le gouvernement « met en place le grand emprunt avec l’objectif de concentrer les moyens de la recherche sur cinq à dix sites à visibilité internationale », rappelle le collectif de chercheurs. En clair, seuls quelques laboratoires bénéficieront de financements liés « aux intérêts du capital apporté par cet emprunt », tandis que le budget public des organismes de recherche est en baisse, entraînant une chute des crédits aux laboratoires de 15 %, rappelle l’intersyndicale.
2. « Plus de 5 millions de salariés ont effectué des heures supplémentaires entièrement défiscalisées (…), ce qui a permis
de soutenir le pouvoir d’achat malgré la crise. »
Si le nombre d’heures supplémentaires a augmenté en un an, leur nombre par salarié reste modeste : 10,2 au 2e trimestre 2010 pour les employés à temps complet des entreprises de plus de dix salariés, selon la Dares. Reste à mesurer leur impact dans le porte-monnaie. Or, si les revenus globaux ont progressé de 0,8 % au 4e trimestre, le pouvoir d’achat, lui, compte tenu de l’inflation, ne monte que de 0,4 %, selon la note de conjoncture de décembre de l’Insee. Si la consommation progresse (+ 0,9 % au 4e trimestre 2010), c’est notamment à cause de la forte hausse de la consommation automobile dans la perspective de la suppression de la prime à la casse en 2011. Un « contrecoup » est d’ailleurs attendu dès le premier semestre de cette année, selon l’Insee, avec une croissance de la consommation qui « se modérerait fortement » : seulement +0,1 %.
3. « Notre système de retraites a été mis à l’abri de la faillite inéluctable qui le guettait si nous n’avions rien fait. Ce sont les pensions de nos aînés qui ont été sauvées. »
Contrairement à ce qu’avance Nicolas Sarkozy, le financement du système par répartition n’est pas réglé par la réforme votée cet automne, au contraire. D’ailleurs, le gouvernement a prévu d’ouvrir les négociations sur une réforme « systémique » en 2013. « Tout le monde sait que, dès 2018, le financement du système des retraites n’est pas assuré, et que l’achèvement définitif du système par répartition se prépare avec la mise en place de comptes de retraite par points », constatait le porte-parole des députés communistes, Roland Muzeau, dans notre édition du 12 novembre dernier. Quant au niveau des pensions, il baissera, pénalisant particulièrement les femmes aux carrières souvent incomplètes, sous l’effet conjugué du report de l’âge légal de départ à 62 ans, de l’allongement progressif de la durée de cotisation et de la décote instaurée pour les annuités manquantes.
4. Les Français « savaient bien que
ce rendez-vous, pour douloureux qu’il fût, était inéluctable. Je veux rendre hommage à leur maturité
et à leur intelligence collective ».
Sans doute beaucoup de Français estimaient qu’une réforme des retraites était indispensable, mais à condition que celle-ci soit juste et équitable… ce qu’ils ne pensaient pas de celle de Nicolas Sarkozy. Les sondages effectués durant le conflit de cet automne l’ont amplement démontré : jamais le soutien à un mouvement social n’a été aussi fort ces dernières décennies. Le 14 octobre 2010, interrogés par l’Ifop pour l’Humanité, un mois après le vote de la réforme en première lecture par les députés, 69 % des sondés continuaient ainsi de réclamer que le gouvernement « engage une discussion pour élaborer un autre projet de réforme des retraites ». Les 20 et 21 octobre, veille du vote au Sénat, même jugement pour BVA à la demande de Canal + : 69 % des Français déclaraient soutenir le mouvement. La « maturité » et l’« intelligence collective » n’étaient décidément pas du côté du gouvernement.
5. « Je me suis toujours battu
pour la protection de notre industrie, la réciprocité
et la fin de la naïveté dans
les discussions commerciales. »
Le combat de Nicolas Sarkozy pour la protection de l’industrie, les salariés de l’usine sidérurgique de Gandrange, en Moselle, s’en souviennent encore. Un monument de promesses non tenues, qui a révélé à lui seul l’imposture sarkozyste en matière de volontarisme économique. « L’État préfère investir pour moderniser le site plutôt que payer de l’argent pour accompagner des gens soit en préretraite, soit au chômage. Je suis donc venu vous dire (…) que nous sommes prêts à mettre de l’argent pour faire les investissements qui auraient dû être faits depuis longtemps sur le site et qui n’ont pas été faits », déclarait-il aux ouvriers du site, le 4 février 2008, promettant même de revenir sur les lieux leur annoncer « la solution qu’on aura trouvée » pour maintenir l’activité et l’emploi. Quelques semaines plus tard, Nicolas Sarkozy se rétractera, laissant fermer l’usine par son repreneur, l’industriel indien Lakshmi Mittal. Bel exemple de réciprocité et d’absence de naïveté dans les « discussions commerciales ».
6. « Il nous faut continuer inlassablement à renforcer nos atouts et à effacer nos points faibles en étant plus compétitifs. »
Pas assez compétitifs, les Français ? À regarder
le tableau de bord 2010 de l’attractivité de la France, édité par le ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar), le Centre d’analyse stratégique (CAS) et l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), la France présente pourtant de beaux atouts. « La France est un acteur de premier rang de l’investissement international », y lit-on (p. 9). « Économie particulièrement attractive, la France s’est maintenue depuis le début de la crise économique parmi les premiers pays d’accueil des investissements directs étrangers » (p. 14). Elle est « le premier pays d’accueil de l’investissement direct étranger en Europe, et le troisième au monde, derrière les États-Unis et la Chine ». On y apprend aussi qu’elle se situe devant les États-Unis et l’Allemagne pour le pourcentage des 25-34 ans ayant atteint un niveau d’éducation supérieure (p. 11), et qu’elle « affiche une des plus fortes productivités du travail, que celle-ci soit mesurée par personne employée ou par heure travaillée » (p. 29)…
7. « Les pays qui ont voulu vivre
au-dessus de leurs moyens
sans penser aux lendemains
ont été lourdement sanctionnés. »
Pour ne pas connaître le même sort que la Grèce, l’Irlande ou le Portugal, la France serait obligée de réduire ses « dépenses publiques », a déclaré le chef de l’État. Mais si des États européens ont été précipités dans une quasi-faillite, ce n’est pas la faute des fonctionnaires ou des prestations sociales, mais des aides gigantesques accordées aux banques pour les sauver de la faillite. Quant aux ménages, c’est au contraire l’insuffisance de leurs revenus qui les a jetés dans la spirale de surendettements qui ont grossi les profits des banques… jusqu’à l’effondrement du système. Dans notre édition du 28 décembre, Paul Jorion, docteur de l’Université libre de Bruxelles, rappelait le mécanisme de la crise : « En 2008, le château de cartes du crédit s’est écroulé. Les États se sont surendettés pour renflouer les banques, leurs rentrées ont baissé du fait de la récession, le taux exigé sur leur dette par le marché des capitaux a grimpé (…). La Grèce a crié au secours la première. Puis l’Irlande, dont le secteur bancaire réclame un soutien abyssal : pas moins de 32 % du PIB de cette petite nation pour 2010 »…
Grégory Marin et Sébastien Crépel