Campagne de communication et plans gouvernementaux se succèdent pour enrayer la tendance française à écarter les salariés de l’emploi à partir de cinquante ans. En vain. Les plans de suppressions d’emplois continuent de toucher en priorité cette classe d’âge. Le chômage des seniors explose.
«Le report de l’âge légal de départ à la retraite permettra d’augmenter le taux d’activité des seniors. » Le ministre du Travail, Éric Woerth, n’a cessé de marteler cet argument durant le débat sur la réforme des retraites. Parlons-en, justement, de l’emploi des seniors… ou plutôt du chômage des seniors. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. En un an, le chômage des quinquas a progressé de 16,3 %, atteignant 6,6 % au premier trimestre 2010. Et début 2008, il n’était que de 4,9 %. Un chiffre d’autant plus préoccupant que les seniors sont plus exposés au chômage de longue durée.
Pourquoi les travailleurs de cette classe d’âge deviennent-ils inemployables ? Usure due aux conditions de travail, formations inadaptées ? Le fond du problème est autrement plus terre à terre : dans notre société, le chômage des « vieux » est simplement plus acceptable. « Cela tient à l’existence à ces âges (plus de cinquante-cinq ans) de conditions d’indemnisation du chômage qui permettent d’attendre l’âge de la retraite du taux plein en situation d’inactivité », expose Jean-Olivier Hairault, professeur d’économie à l’université Paris-I. Les chiffres concordent avec ce raisonnement : cinquante-huit ans, c’est l’âge médian de sortie d’activité en France. Et 40 % des personnes qui font valoir leur droit à la retraite ne sont déjà plus en activité.
« L’âge est devenu un critère légal pour dispenser les seniors d’emploi, analyse la sociologue Anne-Marie Guillemard, spécialiste de l’emploi des seniors. Les politiques RH des entreprises se sont calquées sur des dispositifs politiques de segmentation par l’âge, appliquant le système des préretraites comme la panacée. Le résultat a été un jugement négatif, qui a accru la vulnérabilité des plus âgés face à l’emploi. De plus, les seniors sont considérés comme non reclassables, et les entreprises hésitent à les former, à les promouvoir, bien souvent dès quarante-cinq ans. Leur seule issue est alors la marche vers la sortie, laquelle commence de plus en plus tôt. Dès quarante-cinq ans, vous êtes un demi-vieux car les signaux négatifs se font déjà sentir. »
Et les choses ne vont pas en s’améliorant. Avec la suppression des préretraites (loi Fillon) et l’abaissement à quarante-cinq ans de l’âge de protection dans l’emploi, liée à l’amendement Delalande, les entreprises contournent la loi, par des licenciements pour faute professionnelle grave, par des congés de maladie longue durée ou encore par des ruptures conventionnelles. Ce mode de séparation « à l’amiable » entre salarié et employeur a d’ailleurs connu une montée en charge spectaculaire en deux ans, avec 400 000 ruptures conclues. Une procédure largement utilisée par les entreprises pour alléger leurs effectifs de seniors, dans un cas sur cinq, reconnaît le gouvernement.
IBM illustre cette dérive : douze ruptures conventionnelles y ont été invalidées par l’administration fin 2009 au motif que ce dispositif ne peut contourner un plan social. La CFDT avait reproché au groupe informatique de cibler les salariés « aux environs de la soixantaine, qui bénéficieront du chômage jusqu’à l’âge de la retraite ». Chez Lejaby (lingerie), dans le Rhône, six des dix ruptures conventionnelles en 2009 ont ainsi touché des personnes de plus de cinquante ans, dont des « ouvrières à bout de souffle », indique Nicole Mendez, déléguée CFDT. « On voit d’entrée de jeu que le gouvernement tient un double discours », renchérit Maurad Rabhi, secrétaire confédéral de la CGT en charge de l’emploi et du chômage : « On nous dit, d’un côté, qu’il y a un problème autour de l’emploi des seniors mais, dans le même temps, on crée toutes les conditions pour sortir les plus de cinquante ans de l’emploi. »
Plan senior, CDD senior… Depuis cinq ans, le gouvernement multiplie les annonces, mais sans amélioration notable. Et rien ne dit que le dernier dispositif du gouvernement, qui, depuis le 1er janvier 2010, exige des entreprises de plus de 50 salariés qu’elles soient couvertes par un accord ou un plan d’action « en faveur de l’emploi des salariés âgés » ait les résultats escomptés. Si des pénalités financières existent pour les entreprises sans accord, rien n’est prévu ensuite pour sanctionner l’éventuelle absence de mise en œuvre des mesures. Ce sera aux syndicats de saisir les tribunaux pour les faire appliquer. Numéro 2 de la CFDT, Marcel Grignard se dit « sceptique », craignant que les textes négociés « ne soient pas déclinés sur le terrain ». « Les entreprises font des accords de forme parce que la loi les y oblige et qu’ils leur évitent de payer une taxe. Mais rien n’est réglé sur le fond », dénonce Maurad Rabhi. Le cas de Lejaby, où un plan senior a été mis en place, est à ce titre exemplaire : « Ça a été une petite avancée, car les salariés de cinquante-neuf ans et plus ont vu leur temps de travail réduit de trente-cinq à trente heures. Mais ce qui a été gagné d’un côté a été repris de l’autre, avec le plan social. De plus, l’accord n’a été élaboré que pour une catégorie de salariés, les ouvriers. C’est clair : il a été conçu pour vider les ateliers de production », rapporte Nicole Mendez.
« Le grand progrès, selon Dominique Dilly, chargé de mission à l’Aract (Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail) du Nord-Pas-de-Calais, c’est que la question de l’emploi des seniors est posée dans toutes les entreprises de plus de cinquante salariés. » Mais le risque est grand que les entreprises « misent sur des actions peu coûteuses et à faible enjeu. Pour que l’entreprise s’engage, il faut que ça interpelle la performance, l’enjeu social est secondaire », analyse-t-il, lucide. Comme le souligne Anne-Marie Guillemard, spécialiste de l’emploi des seniors, la réforme actuelle des retraites risque de déboucher sur « l’extension d’une période de précarité en fin de vie active », au lieu d’aboutir à un allongement de la durée de la vie au travail.
Repères
Le taux d’emploi des seniors est resté quasi stable ces dernières années. Il est passé de 37 % en 2003 à 38,9 % en 2009.
Dans le Nord-Pas-de-Calais, le chômage des plus de cinquante ans a augmenté de 15 % en un an.
En Aquitaine, fin 2007, 25 500 seniors recherchaient un emploi après un licenciement. En moyenne, ils restaient inscrits vingt mois à l’ANPE.
En Franche-Comté, 36,2 % des personnes âgées de cinquante-cinq à soixante-quatre ans ont un emploi. Et un licenciement sur deux touche un senior.
En Côte-d’Or, le chômage des seniors a augmenté de 22,5 % en quinze mois (de janvier 2009 à mars 2010).